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DE M. ANTOINE

à ce prix, si j’hésite un instant, si une terreur profonde s’empare de moi, si je crains de devenir indigne de vous en reniant ma croyance à l’avenir de l’humanité, ne mérité-je point quelque pitié de vous, quelque encouragement ou quelque consolation ?

— Ô mon Dieu, dit Gilberte en joignant les mains, vous ne comprenez pas ce qui nous arrive, Émile ! Votre père ne veut pas que nous soyons jamais unis, et sa conduite est pleine de ruse et d’habileté. Il sait bien que vous ne pouvez pas changer de cœur et de cerveau comme on change d’habit ou de cheval ; et soyez certain qu’il vous mépriserait lui-même, qu’il serait au désespoir s’il obtenait ce qu’il vous demande ! Non, non, il vous connaît trop, Émile, pour le croire, et il ne le craint guère ; mais il arrive ainsi à ses fins. Il vous éloigne de moi, il essaie de nous brouiller ensemble, il se donne tous les droits et à vous tous les torts. Mais il n’y réussira pas, Émile ; non, je vous le jure : votre résistance augmentera mon affection pour vous. Ah ! oui, je comprends tout cela ; mais je suis au-dessus d’une si pauvre embûche, et rien ne nous désunira jamais.

— Ô ma Gilberte, ô mon ange divin ! s’écria Émile, dictez-moi ma conduite ; je vous appartiens entièrement. Si vous l’ordonnez, je courberai la tête sous le joug ; je commettrais toutes les iniquités, tous les crimes pour vous…

— J’espère que non ! répondit Gilberte avec une douce fierté, car je ne vous aimerais plus si vous cessiez d’être vous-même, et je ne veux pas d’un époux que je ne pourrais pas respecter. Dites à votre père, Émile, que je ne vous accorderai jamais ma main à de telles conditions, et que, malgré tous les dédains qu’il me conserve au fond de son cœur, j’attendrai qu’il ait ouvert les yeux à la justice et son âme à des sentiments plus honorables