Page:Sand - Le Secrétaire intime — Mattéa — La Vallée noire, 1884.djvu/248

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qu’il voulait s’en donner la peine, il vit, dans cet appel à la protection d’un inconnu, quelque chose qui ressemblait à de l’amour et qui pourtant n’était pas de l’amour. Il avait vu souvent les grands yeux noirs de Mattea s’attacher avec une singulière expression de doute, de crainte et d’espoir sur le beau visage d’Abul  ; il se rappelait la mauvaise humeur de la mère et son désir de l’éloigner  ; il réfléchit sur ce qu’il avait à faire, puis il alluma sa pipe avec la lettre, paya son sorbet, et marcha à la rencontre de ser Zacomo, qu’il apercevait au bout de la place.

Au moment où Timothée l’aborda, il caressait l’acquisition prochaine d’une cargaison de soie arrivant de Smyrne pour recevoir la teinture à Venise, comme cela se pratiquait à cette époque. La soie retournait ensuite en Orient pour recevoir la façon, ou bien elle était façonnée et débitée à Venise, selon l’occurrence. Cette affaire lui offrait la perspective la plus brillante et la mieux assurée  ; mais un rocher tombant du haut des montagnes sur la surface unie d’un lac y cause moins de trouble que ces paroles de Timothée n’en produisirent dans son âme : « Mon cher seigneur Zacomo, je viens vous présenter les salutations de mon maître Abul-Amet, et vous prier de sa part de vouloir bien acquitter une petite note de 2,000 sequins qui vous sera présentée à la fin du mois, c’est-à-dire dans dix jours. »

Cette somme était à peu près celle dont M. Spada avait besoin pour acheter sa chère cargaison de Smyrne, et il s’était promis d’en disposer à cet effet, se flattant d’un plus long crédit de la part d’Abul. « Ne vous étonnez point de cette demande, lui dit Timothée d’un ton léger et feignant de ne point voir sa pâleur  ; Abul vous aurait donné, s’il eût été possible, l’année tout entière pour vous acquitter, comme il l’a fait jusqu’ici  ; et c’est avec grand regret, je vous jure, qu’un homme aussi obligeant