Page:Sand - Le Secrétaire intime — Mattéa — La Vallée noire, 1884.djvu/282

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une barque vint prendre la fugitive à Torcello et la conduisit droit au canal des Marane, où elle s’amarra à un des pieux qui bordent ce chemin des navires au travers des bas-fonds. Lorsque le brigantin passa, Abul tendit lui-même une corde à Timothee, car il eût emmené trente femmes plutôt que de laisser ce serviteur fidèle, et la belle Mattea fut installée dans la plus belle chambre du navire.


VII


Trois ans environ après cette catastrophe, la princesse Veneranda était seule un matin dans la villa de Torcello, sans filleule, sans sigisbé, sans autre société pour le moment que son petit chien, sa soubrette et un vieil abbé qui lui faisait encore de temps en temps un madrigal ou un acrostiche. Elle était assise devant une superbe glace de Murano, et surveillait l’édifice savant que son coiffeur lui élevait sur la tête avec autant de soin et d’intérêt qu’aux plus beaux jours de sa jeunesse. C’était toujours la même femme, pas beaucoup plus laide, guère plus ridicule, aussi vide d’idées et de sentiments que par le passé. Elle avait conservé le goût fantasque qui présidait à sa parure et qui caractérise les femmes grecques lorsqu’elles sont dépaysées, et qu’elles veulent entasser sur elles les ornements de leur costume avec ceux des autres pays. Veneranda avait en ce moment sur la tête un turban, des fleurs, des plumes, des rubans, une partie de ses cheveux poudrée et une autre teinte en noir. Elle essayait d’ajouter des crépines d’or à cet attirail qui ne la faisait pas mal ressembler à une des belettes empanachées dont parle La Fontaine, lorsque son petit nègre lui vint annoncer qu’un jeune Grec demandait à lui parler. « Juste ciel ! serait-ce l’ingrat Zacharias ? s’écria-t-elle.