Page:Sand - Le Secrétaire intime — Mattéa — La Vallée noire, 1884.djvu/299

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voir, qu’il exprime en disant : C’est bien joli par ici, c’est bien clair, on voit loin.

Voir loin, c’est la rêverie du paysan ; c’est aussi celle du poëte. Le paysagiste aime mieux un coin bien composé que des lointains infinis. Il a raison pour son usage ; mais le rêveur, qui n’est pas forcé de traduire le charme de sa contemplation, adorera toujours ces vagues profondeurs des vallées tranquilles, où tout est uniforme, où aucun accident pittoresque ne dérange la placidité de son âme, où l’églogue éternelle semble planer comme un refrain monotone qui ne finit jamais. L’idée du bonheur est là, sinon la réalité. Pour moi, je l’avoue, il n’est point d’amertumes que la vue de mon horizon natal n’ait endormies, et, après avoir vu l’Italie, Majorque et la Suisse, trois contrées au-dessus de toute description, je ne puis rêver pour mes vieux jours qu’une chaumière un peu confortable dans la Vallée-Noire.

C’est un pays de petite propriété, et c’est à son morcellement qu’il doit son harmonie. Le morcellement de la terre n’est pas mon idéal social ; mais, en attendant le règne de la Fraternité, qui n’aura pas de raisons pour abattre les arbres et priver le sol de sa verdure, j’aime mieux ces petits lots divisés où subsistent des familles indépendantes, que les grandes terres où le cultivateur n’est pas chez lui, et où rien ne manque, si ce n’est l’homme.

Dans une grande partie du Berry, dans la Brenne particulièrement, la terre est inculte ou abandonnée : la fièvre et la misère ont emporté la population. La solitude n’est interrompue que par des fermes et des châteaux, pour le service desquels se rassemblent le peu de bras de la contrée. Mais je connais une solitude plus triste que celle de la Brenne, c’est la Brie. Là ce ne sont pas la terre ingrate et l’air insalubre qui ont exilé la popula-