Page:Sand - Le Secrétaire intime — Mattéa — La Vallée noire, 1884.djvu/307

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L’emploi de ce zou neutre est assurément subtil pour des intelligences que ne dirige pas le fil conducteur d’une règle écrite, définie, apprise par cœur, étudiée à frais de mémoire et d’attention. Eh bien, jamais il n’y fera faute, non plus qu’aux temps bizarres de ses conjugaisons. Je ne parle pas ici de la profusion et du pittoresque de ses adjectifs et de ses verbes, de l’originalité descriptive de ses substantifs. Ce serait à l’infini, et beaucoup de ces locutions ne sont pas même dans les vieux auteurs. Je n’insiste que sur la correction de sa langue, correction d’autant plus admirable qu’aucune académie ne s’en est jamais doutée, et qu’elle s’est conservée pure à travers les siècles.

Qu’on ne dise donc pas que c’est un langage barbare, incorrect, et venu par hasard. Il y a beaucoup plus de hasard, de fantaisie et de corruption dans notre langue académique ; le sens et l’orthographe ont été beaucoup moins respectés par nos lettrés, depuis cinq cents ans, qu’ils ne le sont encore aujourd’hui par nos bouviers de la Vallée-Noire. Ceux qui parlent mal, sans règle, sans logique, et sans pureté, ce sont les artisans de nos petites villes, qui dédaignent de parler comme les gens de campagne, et qui ne parlent pas comme les bourgeois ; ce sont les domestiques de bonne maison, qui veulent singer leurs maîtres, les cantonniers piqueurs qui courent les routes, les cabaretiers qui causent avec des passants de tout pays, et qui arrivent tous au charabiat, au parler pointu, au chien-frais, comme on dit chez nous. Les soldats qui reviennent de faire leur temps apportent aussi un parler nouveau, mais qui ne prend pas, et auquel ils renoncent en moins d’un an pour retourner à la langue primitive. Mais l’homme qui n’a jamais quitté sa charrue ou sa pioche parle toujours bien, et ici, comme partout, les femmes ont la langue encore mieux pendue que les