Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/114

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Et un regard vers la Mère rappela le chanteur à l’ordre.

— Laissez-le chanter, dit la Savinienne avec douceur. Ne le contrariez pas pour si peu de chose. Quand on chante l’amitié, d’ailleurs…

— Quand on a commencé on ne peut plus s’arrêter, observa le Cœur-aimable, et quand on a pris une résolution de ne pas chanter sans nécessité…

— Il faut la tenir, interrompit la Belle-conduite. C’est juste ; je vous remercie, frère, j’ai eu tort. Mais on peut boire un coup en l’honneur des amis, même deux…

— Pas plus de trois après la soif, dit Marseillais l’Enfant-du-génie ; c’est le règlement. Il ne faut pas de bruit ici. Que diraient les Dévorants s’ils entendaient du vacarme chez une Mère en deuil ? D’ailleurs, qui de nous voudrait faire de la peine à la nôtre, à Savinienne la belle, la bonne, l’honnête, la ménagère, la tranquille ?

— C’est à elle que je bois mon second coup, s’écria Lyonnais la-Belle-conduite. Est-ce que vous ne trinquez pas, le pays ? ajouta-t-il en voyant qu’Amaury avançait son verre en tremblant. Est-ce qu’il a la fièvre, le pays[1] ?

— Silence, là-dessus, dit Morvandais Sans-crainte à l’oreille de son voisin la Belle-conduite. Ce pays-là en a voulu conter, dans les temps, à la Mère ; mais elle était trop honnête femme pour l’écouter.

— Je le crois bien ! reprit la-Belle-conduite. C’est pourtant un joli compagnon, blanc comme une femme, de beaux cheveux dorés, et le menton comme une pêche ; avec cela fort et solide. On dit qu’il a du talent ?

— Sinon plus, du moins autant que l’Ami-du-trait, et

  1. Les tailleurs de pierres des deux partis s’interpellent du nom de Coterie ; tous les compagnons des autres états se disent Pays. Ils ne se tutoient jamais quand ils sont rassemblés.