Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/137

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ments n’ont pas marché. J’ai ouvert les yeux, frère ; et je ne suis déjà plus l’homme aveugle et grossier qui t’écoutait hier soir avec stupeur sur la chaussée de Blois. Les paroles que tu viens de dire devant l’assemblée sont tombées dans mon cœur, comme le bon grain dans le sillon fertile. Il m’a semblé qu’au nuage s’enlevait de terre entre nous deux, et je t’avais aimé jusqu’ici à travers un voile. Oui, mon ami, tu ne m’avais pas semblé autre chose qu’un compagnon instruit, honnête et bon. À présent je vois bien que tu es plus que cela, plus qu’un ouvrier, plus qu’un homme peut-être. Que vais-je te dire ? je me suis figuré le Christ, ce fils d’un charpentier, pauvre, obscur, errant sur la terre, et parlant à de misérables ouvriers comme nous, sans argent, presque sans pain, sans éducation (c’est ainsi qu’on nous les dépeint). Je me suis rappelé ce qu’on raconte de sa beauté, de sa jeunesse, de sa douceur, des préceptes de sagesse et de charité qu’il expliquait, comme tu l’as fait aujourd’hui, en paraboles. Je ne veux pas blesser ta modestie, Pierre, en te comparant à celui qu’on appelle Dieu ; mais je me disais : Si le Christ revenait parmi nous et qu’il passât devant cette maison, que ferait-il ? Il verrait la Savinienne au seuil, avec son air affable et ses deux beaux enfants, et il les bénirait. Et alors la Savinienne le prierait d’entrer ; elle laverait ses pieds poudreux et brûlants, et elle abriterait ses petits dans les plis de la robe du Sauveur tandis qu’elle irait lui chercher l’eau la plus pure pour étancher sa soif. Et pendant ce temps, le fils du charpentier interrogerait les enfants, et il saurait d’eux qu’il y a là, dans la grange, des hommes qui parlent et qui concertent quelque chose. Alors l’homme divin voudrait connaître le cœur de ses frères, de ses fils, les pauvres travailleurs. Il entrerait dans la grange, et ne dédaignerait pas de s’asseoir, comme nous, sur une botte de