Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/138

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paille, lui qui naquit sur la paille d’une étable ; puis il écouterait. Et tout en faisant ce rêve, je me représentais la belle figure de Jésus, attentive et souriante, et ses beaux yeux attachés sur toi avec une expression de douceur et d’attendrissement… Et quand tu eus fini de parler (car ceci, Pierre, n’était pas une simple supposition que je faisais dans mon esprit c’était comme une vision que j’avais devant les yeux), quand tu eus fini de parler, je le vis s’approcher, se pencher sur toi, et te dire en t’imposant les mains ce qu’il disait aux pauvres hommes du peuple dont il faisait ses disciples : « Viens avec moi, quitte tes filets et suis-moi ; je veux te faire pêcheur d’hommes. » Et il me sembla qu’une grande lumière jaillissait du front du Christ, et t’enveloppait dans son rayon. Alors je me dis en moi-même : Pierre est un apôtre : comment ne le savais-je pas ? Il prophétise ; comment ne l’avais-je pas compris ? Et moi aussi, je me levai, transporté d’un zèle qui me brûlait. J’allais m’écrier : Oh ! Christ, emmenez-moi avec mon frère ; je ne suis pas digne de délier les cordons de vos souliers, mais je vous écouterai et je ramasserai les miettes qui tomberont de votre table… Alors les compagnons sont agités. Ils t’ont contredit, ils t’ont blâmé. Ma vision s’est effacée, mais il m’en est resté comme un tremblement dans tout le corps ; j’ai eu beaucoup de peine à me contenir ; j’étais prêt à pleurer, comme dans le temps où la Savinienne, cette pieuse femme qui aime tant Dieu, sans aimer les prêtres, me lisait, de sa voix douce, l’Écriture Sainte dans une vieille Bible qui est dans sa famille depuis deux ou trois cents ans. Aussi je ne serai jamais impie, et, dût-on se moquer de moi, je ne me moquerai jamais de Jésus, le fils du charpentier. Qu’il soit Dieu ou non, qu’il soit tout à fait mort ou qu’il soit ressuscité, je ne peux pas examiner cela, et je ne m’en inquiète pas. Il y en a même qui disent qu’il n’a