Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/149

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spectres de l’insomnie et de la fièvre, il désira mourir, et tordit ses mains dans l’excès d’une horrible douleur. Le sommeil vint enfin à son secours, et il resta plongé dans un accablement presque léthargique depuis le jour naissant jusqu’à la nuit.

La Savinienne se reposa à peine deux ou trois heures. Elle partagea sa sollicitude, tout le reste du jour, entre sa fille, que la peur avait rendue malade aussi, le Corinthien et l’Ami-du-trait.

Le Dignitaire et ceux des compagnons qui avaient su s’échapper à temps de la scène du combat, vinrent la voir et la rassurer. Plusieurs des blessés étaient hors de danger ; on lui cacha, tant qu’on put, l’agonie et la mort de quelques autres. Mais on craignait l’effet des poursuites judiciaires. On avait déjà fait sauver un compagnon qui, comme Amaury, avait donné la mort à un de ses ennemis, et on conseilla à Pierre de fuir aussi avec le Corinthien. Dès que ce dernier put marcher, c’est-à-dire la nuit suivante, Pierre le conduisit à la cabane du Vaudois, en attendant qu’il pût prendre la diligence et se rendre à Villepreux. Le bon charpentier le cacha dans sa soupente, et lui prodigua tous les soins de l’amitié. Il était devenu médecin lui-même, à ce qu’il prétendait, à force d’avoir eu affaire à des médecins. Il se mit en devoir de le médicamenter ; et Pierre, tranquillisé sur son compte, retourna à Blois, décidé à ne point abandonner ses frères captifs tant que ses démarches et son témoignage pourraient servir à leur justification et à leur délivrance.

Il revenait, aux premières lueurs du matin, le long des rives verdoyantes de la Loire, en proie à une grande tristesse, à un dégoût profond. Cette fatale nécessité de soutenir une guerre de parti acharnée contre des hommes du peuple, contre ces enfants du travail et de la pauvreté