Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/183

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crutement de la Charbonnerie, le capitaine napoléoniste, l’avocat lafayettiste et le médecin orléaniste, groupés sous le manteau de la cheminée, s’entretenaient à demi-voix.

Le médecin. — Eh bien ! mon pauvre Achille, voilà encore une de tes bêtises. Ah ! tu veux faire du sans-culottisme ! Vois comme cela te réussit !

Achille Lefort. — C’est ta faute, à toi. Si j’avais été seul, j’aurais tourné ces gens-là comme j’aurais voulu. J’ai cru leur donner de la confiance en leur montrant des personnes recommandables ; j’aurais dû me rappeler que ces personnes-là ne sont bonnes à rien. Est-ce que vous savez parler au peuple, vous autres ?

L’avocat, au médecin. — Il est joli, son peuple ! On dirait que nous ne le connaissons pas, le peuple, nous qui sommes en relations continuelles avec lui !

Achille Lefort. — Vous ne le voyez que malade de corps ou d’esprit. Un avocat, un médecin ! mais vous n’avez affaire qu’à des plaies dans l’ordre moral et physique ! Vous ne connaissez pas le peuple en bonne santé. Est-ce que ce menuisier n’est pas un homme intelligent et instruit ?

Le médecin. — Beaucoup trop ergoteur et beaucoup trop lettré pour un ouvrier. Avec ces cervelles bourrées de lectures mal ordonnées et de théories mal digérées on ne fera jamais rien qui vaille. S’il fallait gouverner une nation composée de pareils hommes, Napoléon lui-même reviendrait en vain sur la terre.

Le Capitaine. — De son temps il n’y en avait pas. Il les menait à la guerre, et là on n’avait pas le temps d’ergoter.

L’avocat. — De son temps il y en avait ; car il y en a toujours eu. Ils ergotaient dans la guerre comme dans la paix. Seulement, le grand homme, qui n’était pas parti-