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— Pierre Huguenin n’était pas là, répondit Isidore, et celui que vous voulez dire est un compagnon. Je ne sais comment il s’appelle, mais il a un drôle de surnom.

— Ah ! vraiment ? dites-le-moi donc, cela m’amusera.

— Son camarade l’appelle le Corinthien.

— Oh ! que c’est joli, le Corinthien ! Mais pourquoi ? qu’est-ce que cela veut dire ?

— Ces gens-là ont toutes sortes de sobriquets. L’autre s’appelle la Clef-des-cœurs.

— Oh ! la bonne plaisanterie ! Mais c’est qu’il est affreux ! je n’ai jamais rien vu de si laid !

Un autre qu’Isidore eût pu remarquer que, pour une marquise, madame des Frenays avait peut-être trop regardé les ouvriers de la bibliothèque, et qu’elle ne justifiait guère en ce moment la sentence de La Bruyère : « Il n’y a qu’une religieuse pour qui un jardinier soit un homme. » Mais Isidore, qui savait la marquise un peu coquette, et qui se croyait fort agréable, se borna à penser qu’elle lui disait des riens, et qu’elle feignait d’y prendre intérêt, afin de le retenir auprès d’elle et de jouir de sa conversation.

La marquise des Frenays, née Joséphine Clicot, et fille d’un gros fabricant de draps de la province, avait été mariée fort jeune au marquis des Frenays, neveu de M. de Villepreux. Ce marquis était un fort bon gentilhomme de Touraine, en tant que noble, mais un fort triste personnage en tant que particulier. Il avait servi sous l’empire ; mais, comme il avait peu de talent et point de conduite, il n’était jamais sorti des grades secondaires, où il avait mangé assez grossièrement son patrimoine. Aux cent-jours, il n’avait su prendre son parti ni habilement ni courageusement ; c’est-à-dire qu’il avait trahi trop tard la fortune de l’Empereur, et qu’il n’avait su se donner ni le profit de la défection ni le mérite de la fidélité.