Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/223

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sitions particulières dont cet ouvrage est la preuve, personne ne les a cultivées dans le Corinthien. Cela lui est venu un beau matin, et il s’est formé tout seul.

— Est-ce qu’il ne serait pas fils de quelque artiste tombé dans la misère ? dit le comte.

— Son père était compagnon menuisier comme lui, répondit Pierre.

— Et il est pauvre, ce bon Corinthien ?

— Non pas précisément ; il est jeune, fort, laborieux et plein d’espérance.

— Mais il n’a rien.

— Rien que ses bras et ses outils.

— Et son génie, dit Yseult en regardant la tête sculptée ; car il en a, je vous en réponds.

— Eh bien ! il faudrait cultiver cela, reprit le comte, l’envoyer à Paris, dans un atelier de dessin, et puis le placer chez quelque bon sculpteur. Qui sait ? il pourrait peut-être faire de la statuaire un jour, et devenir un grand artiste. Nous penserons à cela, n’est-ce pas, ma fille ?

— De tout mon cœur, répondit Yseult.

— Engagez-le à continuer, dit le comte à Pierre Huguenin. J’irai le voir travailler ; cela m’amusera, et l’encouragera peut-être.

Pierre rapporta mot pour mot à son ami tout cet entretien, et Amaury rêva statuaire toute la nuit. Quant à Pierre, il rêva de mademoiselle de Villepreux. Il la vit sous toutes les formes, tantôt froide et méprisante, tantôt bienveillante et familière ; et je ne sais comment l’image de la porte de la tourelle se trouvait toujours mêlée à cette vision. Une fois il lui sembla que la jeune châtelaine, debout au seuil de son cabinet, l’appelait, et qu’il montait jusqu’à cette porte sans escalier, par la seule puissance de sa volonté. Elle lui montrait un grand livre sur lequel étaient tracés des figures et des caractères mystérieux.