Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/42

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— Vous êtes donc sculpteur aussi ? dit M. Lerebours avec aigreur ; vous avez tous les talents !

— Oh ! non pas tous, répondit Pierre avec un soupir plein de bonhomie, non pas même tous ceux que je devrais avoir. Mais essayez-moi dans ma partie, et, si vous êtes content, vous me pardonnerez de vous avoir contredit ; c’était sans intention de vous blesser, je vous jure. Si j’avais à m’occuper de la construction d’un pont ou d’un projet de route, je me mettrais avec plaisir sous les ordres de M. Isidore, parce que je sais que j’aurais beaucoup de choses utiles à apprendre de lui.

M. Lerebours, un peu radouci, consentit à écouter la critique pleine de douceur que Pierre lui fit du plan d’escalier. La démonstration fut faite avec clarté, et le père Huguenin la comprit d’emblée, car il était arrivé, par la pratique et la logique naturelle, à une connaissance assez élevée de son art ; mais M. Lerebours, qui n’avait ni la théorie ni la pratique, suait à grosses gouttes tout en faignant de comprendre ; et, pour clore le différend, il fut décidé que Pierre ferait un autre plan, et qu’on le soumettrait à l’architecte que la famille honorait de sa clientèle. M. Lerebours était bien aise de faire cette épreuve avant d’employer le jeune menuisier, et l’on arrêta que le devis du travail et les conditions du salaire seraient ajournés jusqu’au jugement de l’architecte.

Lorsque les Huguenin furent rentrés chez eux, le père garda un profond silence. En attendant le soir, on reprit les travaux, et Pierre, sans plus d’orgueil que les autres jours, se mit à raboter les planches que lui présentait son père ; mais il était facile de voir que celui-ci ne lui taillait plus la besogne avec autant d’assurance, et qu’il lui parlait avec plus d’égards que de coutume. Il alla même jusqu’à le consulter sur un procédé fort simple que Pierre employait en débitant certaines pièces.