Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 2.djvu/143

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
136
LE COMPAGNON

fut le seul qui demeura triste et inquiet. Cette joie exubérante et soudaine de son ami lui donnait à penser.

Au coucher du soleil, Yseult, pour se débarrasser de la société du vicomte, qui, rudement repoussé par Joséphine, reportait sur elle des hommages moins ardents, mais tout aussi fades, s’éclipsa doucement, et alla se promener seule tout au bout du parc. Elle pensait peut-être y rencontrer Pierre ; car, en quelque endroit qu’elle se promenât, elle le rencontrait toujours. Ceci est un miracle qui s’opère tous les jours pour les êtres qui s’aiment, et il n’est pas un couple d’amants qui puisse m’accuser ici d’invraisemblance. Pierre ne vint pourtant pas ce soir-là. Il ne voulait pas perdre de vue le Corinthien, qu’il voyait fort agité malgré tout son enjouement. Il voulut sacrifier à la dignité de la Savinienne la seule joie qu’il eût au monde, celle de causer un quart-d’heure avec Yseult.

En interrogeant des yeux le chemin de ronde par lequel Pierre arrivait quelquefois, mademoiselle de Villepreux vit venir une femme d’une assez grande taille, qui marchait avec beaucoup d’aisance et de noblesse dans son vêtement rustique. Elle avait une jupe de cotonnade brune et un manteau de laine bleue qui lui enveloppait la tête, à peu près comme les peintres florentins drapaient leurs figures de Vierges. La beauté régulière et l’expression grave et pure de cette femme lui donnaient une ressemblance frappante avec ces divines têtes de l’école de Raphaël. Elle conduisait un âne, sur lequel était assis un bel enfant aux cheveux d’or, enveloppé comme elle d’une draperie de bure et les jambes pendantes dans un panier. Yseult fut frappée de ce groupe qui lui rappelait la fuite en Égypte, et elle s’arrêta pour contempler ce tableau vivant auquel il ne manquait qu’une auréole.

De son côté, la femme du peuple fut frappée de la figure calme et bienveillante de la jeune châtelaine. À son vête-