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DU TOUR DE FRANCE.

contents du parti impérial, phalange héroïque de cœur et bornée d’esprit, qui fit un peu le rôle de Bertrand dans la fable des marrons, et qui s’en venge aujourd’hui en dirigeant les canons et les fusils de l’Ordre répressif contre la république émeutière. Il y avait donc en ce temps-là un échange inévitable de petites ruses, de promesses fallacieuses et de transactions tant soit peu jésuitiques entre les conspirateurs des diverses opinions et des diverses nuances. Le tout se faisait à bonne intention, et s’il est permis de plaisanter aujourd’hui sur ces épisodes, il ne faut pas oublier d’en tenir compte à la finesse railleuse et à la témérité enjouée de l’esprit français[1].

Achille Lefort, mis au pied du mur par l’esprit ferme, par la conscience vierge et par l’ardente soif de vérité qui poussaient l’homme du peuple à savoir le mot de l’avenir, se tira d’affaire le plus adroitement qu’il put, et malgré le bon sens imparable de Pierre Huguenin, qui ne manquait pas non plus de finesse, il réussit à se dégager de sa férule sans trop de dommage ni de honte. Tout en feignant de s’interroger lui-même consciencieusement (et, l’occasion étant bonne, Achille Lefort joua ce jeu au sérieux), il

  1. Toute période historique a deux faces : l’une assez pauvre, assez ridicule, ou assez malheureuse, qui est tournée vers le calendrier du temps ; l’autre grande, efficace et sérieuse, qui regarde celui de l’éternité. Nous ne saurions mieux développer cette pensée appliquée aux événements dont il est ici question, qu’en citant un passage de M. Jean Raynaud sur le Carbonarisme. Si quelqu’un nous accusait de ne pas traiter avec assez de respect des tentatives qui eurent leurs périodes tragiques et leurs martyrs couronnés, nous invoquerions ce beau texte comme l’expression de nos sympathies et de notre jugement définitif : « Hélas ! ces complots nous ont coûté du sang, et du plus pur ! il a fallu que des cœurs généreux fussent condamnés prématurément à l’exil du tombeau, et que de nobles têtes, livrées en holocauste, s’inclinassent douloureusement sous la main pesante du bourreau… Leur sacrifice n’a pas été inutile pour le monde ; et la postérité, dans sa commémoration des morts, conservera leurs noms. Non, votre sang, ô infortunés patriotes,