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LE COMPAGNON

folâtrer dans la cour lorsqu’elle la traversait le soir après avoir porté son linge au château. Ces gentillesses n’étaient pas du goût de la Savinienne : elle le menaça de lui donner un soufflet, ce qu’elle eût fait aussi tranquillement qu’elle le disait. Mais il était écrit dans le ciel qu’Isidore serait réprimé par une main plus robuste.

Un soir, étant ivre, Isidore vit la Savinienne chercher au bas de la Tour carrée un jeune pigeon qui venait de tomber du nid. Il s’élança vers elle, sans voir que Pierre Huguenin était à deux pas de là ; et il recommença ses grossières importunités avec des expressions si triviales et des manières si peu respectueuses, que Pierre indigné s’approcha et lui ordonna de s’éloigner. Isidore, qui n’était pourtant pas brave, mais à qui le vin donnait de l’audace, voulut insister, et, devenant tout à fait brutal, prétendit qu’il allait embrasser la Savinienne à la barbe de son galant. — Je ne suis pas son galant, dit Pierre, mais je suis son ami ; et, pour le prouver, je la débarrasse d’un sot. En parlant ainsi, il prit Isidore par les deux épaules ; et, quoiqu’il conservât assez de patience pour n’employer pas toute sa force, il l’envoya tomber contre un mur où l’ex-employé s’endommagea quelque peu le visage.

Il se le tint pour dit, et, connaissant désormais le bras de l’ouvrier, il ne se vanta pas de sa mésaventure ; mais il sentit revenir tous ses projets de vengeance, et sa haine contre Pierre Huguenin se ralluma plus vive et plus motivée.

Il commença par s’attaquer au plus faible ennemi, et par déchirer la Savinienne. Il confia tout bas à tout le monde que le Corinthien et Pierre se partageaient ses faveurs avec un mépris cynique pour elle et pour la morale publique, et même que le Berrichon était son amant par-dessus le marché. — Il en était bien sûr, disait-il ; il