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DU TOUR DE FRANCE.

— C’est qu’aussi vous êtes trop dans l’idéal ; vous en demandez plus aux hommes qu’ils ne peuvent faire. Vous voudriez des chefs et des conseils qui résumassent en eux l’audace de Napoléon et l’humilité de Jésus-Christ. C’est un peu trop exiger de la nature humaine en un jour ; et d’ailleurs, si un tel homme venait, il ne serait pas compris. Vous raisonnez, vous, et le peuple ne raisonne pas.

— Le peuple raisonne mieux que vous ne pensez ; et la preuve, c’est que vous ne pouvez pas réussir à l’agiter. Il sent que son heure n’est pas venue. Il aime mieux supporter ses maux quelques jours de plus, que de soulever son flanc meurtri pour se meurtrir de l’autre côté en changeant de posture. Il attend que la voûte s’élève et qu’il puisse se tenir debout. Et savez-vous de quoi est faite cette voûte ? De bourgeois d’abord, et de nobles par-dessus. Bourgeois, secouez vos nobles s’ils pèsent trop sur vous ; c’est votre affaire. Nous vous aiderons, s’il nous est prouvé quelque jour que cela nous soulage. Mais si vous posez autant qu’eux, gare à vous ! nous vous secouerons à notre tour.

— Mais que ferez-vous donc jusque-là ?

— Ce que vous nous conseillez. Nous travaillerons de toutes nos forces pour ne pas mourir de faim, et nous trouverons encore moyen de nous secourir les uns les autres. Nous conserverons entre ouvriers notre Compagnonnage, malgré ses abus et ses excès, parce que son principe est plus beau que celui de votre Charbonnerie. Il tend à rétablir l’égalité parmi nous, tandis que le vôtre tend à maintenir l’inégalité sur la terre.

CHAPITRE XXVI.

Ce jour-là la marquise n’avait pas dîné au château. Elle avait été rendre visite à une de ses parentes établie dans