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VII.

LE CASSEU’ DE BOIS.


Malheur à la ramasseuse de bois qui rencontre sur son chemin l’homme de fer rouge ! Ravageant les arbres de la forêt, il ne permet pas que les humains profitent de ses dégâts.
Maurice SAND.



Le pauvre paysan est quelquefois un charmant poète, témoin cette fable où il plaisante sa propre misère avec une si douce mélancolie :

« Au mois d’avril, la ruiche (le rouge-gorge) et le roi-Berthault (le roitelet) se rencontrèrent aux bois et se demandèrent leurs portements. — Ça va très bien, Dieu merci, dit la ruiche ; j’ai passé un bon hiver. — Et moi de même, dit le roi-Berthault ; j’ai passé l’hiver chez le bûcheron et je me suis diantrement chauffé ! Ces gens-là font des feux, si vous saviez, ma chère ! Ils vous font brûler des bûches aussi grosses que ma jambe ! — Vrai ? dit la ruiche émerveillée. Eh bien ! moi, j’ai mangé mon saoul chez le laboureur ! Il avait du blé dans son grenier, oh ! mais du blé ! Debout sur le plancher, j’en avais jusqu’au ventre ! »

Les hallucinations du paysan qui, aussi bien que ses traditions, donnent souvent lieu à des croyances et à des légendes, prouvent que s’il est généralement privé du sens d’une clairvoyante observation, il a la faculté extraordinairement poétique de personnifier l’apparence des choses et d’en saisir le côté merveilleux. Les reflets embrasés du soleil couchant sous les grands ombrages ont donné naissance à l’homme de feu ou de fer rouge, ou tout simplement de bois de vergne[1], qui court de tige en tige, brisant ou embrasant. C’est lui qui, dans la nuit, allume ces terribles incendies où sont dévorées des forêts entières et dont la cause, trop souvent attribuée à la malveillance, reste toujours très mystérieuse. Disons, en passant, que la chute des aérolites peut expliquer bien des choses et que le paysan de nos jours commence à s’en rendre compte. L’an dernier, une femme de la Berthenoux tricotait devant sa porte, quand elle vit une lumière à rendre aveugle et entendit un bruit à rendre sourd. En une minute, sa maison fut en feu ; elle

  1. Le vergne est l’aune des prairies. Quand on le coupe, son bois est d’un rouge de sang.