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n’eut que le temps de sortir son enfant qui dormait, et vit brûler sa pauvre demeure avec une rapidité qui tenait du prodige. « Ce n’était pas, dit-elle, un feu comme un autre ; j’ai bien vu quelque chose tomber du ciel ; mais ce n’était pas le feu ordinaire du ciel ; l’air était bien tranquille et il n’y avait pas d’orage du tout. » Le fait fut constaté par de nombreux témoins et personne ne songea à accuser la pauvre femme de s’être vouée au diable ou d’avoir encouru la colère du ciel. Il y a cent ans, les choses se fussent passées autrement. La malheureuse eût été maudite et repoussée de tous, ou bien ses voisins eussent été accusés de sortilège. Il y a deux cents ans, quelqu’un, à coup sûr, eût été brûlé pour ce fait, soit la victime de l’incendie, soit le premier passant qui eût éternué de travers au moment du sinistre.

L’homme de feu est aussi nommé casseu’ de bois. Il prend diverses apparences et joue divers rôles, selon les localités. Il n’est pas toujours flamboyant et incendiaire et se fait entendre plus souvent qu’il ne se montre. Dans les nuits brumeuses, il frappe à coups redoublés sur les arbres, et les gardes-forestiers, convaincus qu’ils ont affaire à d’audacieux voleurs de bois, courent au bruit et aperçoivent quelquefois le pâle éclair de sa puissante cognée. Mais, chose étrange, ces grands arbres que l’on entendait crier sous ses coups et qu’on s’attendait à trouver profondément entaillés, n’en portaient pas la moindre trace. Le casseu’, ou le coupeu’, ou le batteu’, car le fantôme porte tous ces noms, est quelquefois le génie protecteur de la forêt qu’il a prise en affection. Il faut se garder de toucher aux arbres sur lesquels il a frappé pour avertir de sa prédilection.

On sait que des troncs pourris émane quelquefois une lueur phosphorescente. Cette lueur, bien réelle et bien visible, a donné lieu à une foule de prétendues apparitions. J’en ai vu une du plus bel aspect, et le paysan qui m’accompagnait me raconta l’histoire suivante :

« Un bon curé, qui n’avait crainte d’aucune chose, passait souvent, le soir, dans les bois, en revenant d’une paroisse voisine où il allait souper et faire la partie de cartes avec un confrère.

« Il voyait toujours, au même endroit, une lueur blanche à laquelle il ne donnait pas grande attention, bien que son cheval fit, chaque fois, un petit écart et dressât les oreilles comme s’il eût vu ou senti quelque chose d’extraordinaire.

« Un soir que la lueur lui parut plus vive que de coutume et que son cheval se montra plus inquiet, le curé résolut d’en avoir le cœur net et voulut entrer sous bois du côté où la clarté paraissait ; mais son cheval s’en défendit si bien, qu’il y renonça et résolut d’aller voir, au jour, s’il y avait par là quelque charbonnière mal couverte qui menaçât de mettre le feu à la futaie.

« Il y alla donc le lendemain matin, et ne trouva, à plus d’un quart de lieue à la ronde, aucune charbonnière allumée ou éteinte, aucune hutte, aucune trace de feu ni cause de lumière. Il n’y songea plus.

« Mais une semaine plus tard, repassant là sur le minuit, il vit un grand rond de feu blanc qui flambait en travers de son chemin, et son cheval se cabra et refusa tout-à-fait d’avancer.

« Le curé mit pied à terre, prit sa bête par la bride et avança résolument jusqu’au milieu du feu qui, non-seulement ne le brûla pas, mais ne lui fit sentir aucune chaleur.

« Il en fut si étonné que, parvenu au milieu du cercle, il ne put s’empêcher d’en rire et de s’écrier : « Ah ! par tous les diables, voici la première fois de ma vie que je rencontre du feu froid. »