Page:Sand - Les Beaux Messieurs de Bois-Dore vol1.djvu/122

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malgré lui, comme un mal bizarre, insurmontable. Il sentait de plus en plus cet enfant lui inspirer une terreur superstitieuse.

— Si ce que j’éprouve est une révélation de ma destinée, pensait-il, elle s’agite et se décide en cet instant. Si l’enfant meurt, je suis sauvé ; s’il est sauvé, je suis perdu.

L’enfant fut sauvé.

Lucilio rejoignit le cheval, prit le petit cavalier par le collet de sa souquenille, et alla le jeter sur la talus, dans les bras de sa mère, qui avait suivi, en courant et en criant, les péripéties de ce petit drame.

Puis il retourna tranquillement chercher le trop simple Squilindre, qui s’acharnait contre le barrage de l’étang, et, le forçant à rebrousser chemin, le remit sain et sauf aux mains du carrosseux éperdu.

Toute la maison était accourue aux cris de la Morisque, et l’on fut attendri de la voir, « toute pleurante, » embrasser les genoux de Lucilio, et lui parler en arabe avec effusion, en s’étonnant qu’il ne lui répondit pas un mot, bien qu’il eût l’air d’entendre cette langue et qu’il l’entendit fort bien.

Le marquis embrassa Lucilio en lui disant tout bas :

— Eh ! mon pauvre ami ! pour un homme tourmenté par la main du bourreau jusque dans la moelle des os, vous êtes encore un vigoureux nageur ! Dieu, qui sait que vous ne vivez que pour le bien, a voulu faire en vous des miracles. Or ça, allez vitement changer de tout, et vous, Adamas, faites sécher et réchauffer ce petit diable, qui n’a pas l’air plus effrayé que s’il sortait de son lit. Je souhaite que, tout à l’heure, après mon repas, vous me l’ameniez avec sa mère ; faites-les donc