Page:Sand - Les Beaux Messieurs de Bois-Dore vol1.djvu/132

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» Ainsi, on nous insultait jusque dans la pudeur de nos mœurs et dans la santé de nos corps ! Mes parents s’étaient soumis. Quand ils virent que cela ne servait de rien et qu’on ne les persécutait que pour avoir leur argent, ils songèrent à en amasser et à en cacher le plus qu’ils pourraient, afin de s’enfuir quand le danger de la mort reviendrait.

» À force de travail et de patience, ils se firent un petit trésor. C’était, disaient-ils, pour m’empêcher de mendier comme tant d’autres qui s’étaient laissé surprendre. Mais il était écrit que, comme tous les autres, je tendrais la main.

» Nous étions encore assez heureux, malgré les humiliations dont on nous abreuvait. Nos seigneurs espagnols ne nous aimaient point ; mais, comme ils voyaient bien que nous seuls, en Espagne, savions et voulions cultiver leurs terres, ils demandaient à leur roi de nous épargner.

» Quand j’eus dix-sept ans, le roi Philippe III fit rendre tout à coup un nouveau décret contre tous les Morisques catalans. Nous étions bannis du royaume avec les biens meubles que nous pourrions emporter sur nos corps. Dans trois jours, sous peine de mort, il nous fallait quitter nos maisons et aller, sous escorte, au lieu de l’embarquement. Tout chrétien qui cacherait un Morisque irait pour six ans aux galères.

» Nous étions ruinés. Pourtant, nous mîmes sur nous, mon père et moi, l’or que nous pouvions emporter, et nous partîmes sans nous plaindre. On nous promettait de nous conduire en Afrique, au pays de nos ancêtres.

» Alors nous demandâmes au Dieu de nos pères de nous reprendre pour ses fidèles enfants.

» On nous laissa, pendant le voyage, remettre nos