Page:Sand - Les Beaux Messieurs de Bois-Dore vol1.djvu/286

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Mais c’est que je t’aime encore plus que lui…

— Tu m’aimes donc déjà, Mario ? J’en suis content ! Mais d’où vient ? Tu ne me connais pas encore.

— C’est égal, je t’aime.

— Et tu ne sais pas pourquoi ?

— Si fait ! je t’aime, parce que je t’aime.

— Mon ami, dit le marquis à Lucilio, il n’y a rien de beau et d’aimable comme l’enfance ! Elle parle comme les anges se doivent parler entre eux, et ses raisons, qui n’en sont pas, valent mieux que toute la sagesse des vieilles têtes. Vous m’instruirez ce chérubin-là. Vous lui ferez un bel et bon cerveau comme le vôtre ; car je ne suis qu’un ignorant, et je veux qu’il en sache plus long que moi. Les temps ne sont plus tant à la guerre civile comme dans ma première jeunesse, et je crois que les gentilshommes doivent se porter vers les lumières de l’esprit. Mais tâchez de lui laisser ces simples gentillesses que la vie des bergers lui a données. En vérité, il me représente au naturel les beaux enfants qui devaient courir, parmi les fleurs, sur les rives enchantées du Lignon aux claires ondes.

Le marquis, ayant pris des mains d’Adamas un cordial, pour se remettre des fatigues de la soirée, se coucha et s’endormit, le plus heureux des hommes.

En un temps où l’on se faisait justice soi-même, à défaut de légalité régulière, et où la notion du pardon eût été considérée comme une faiblesse coupable et lâche, le marquis, bien qu’exceptionnellement enclin à une grande douceur, pensait avoir accompli le plus sacré des devoirs, et, en cela, il suivait les idées et coutumes de la plus saine chevalerie.

Certes, à cette époque, on n’eût pas rencontré un gentilhomme sur mille qui ne se fût regardé comme investi