Page:Sand - Les Beaux Messieurs de Bois-Dore vol2.djvu/147

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Les quinze nouveaux bandits qu’elle avait amenés, et qui prirent possession de la cuisine, tandis que les autres étaient relégués à l’écurie ou commandés pour le guet et la garde montante, se montrèrent tout d’abord très-pressés de la faire servir ; ils comptaient sur ses restes, et, tandis que les uns dressaient la table en bousculant et injuriant les valets, les autres talonnaient le chef Bois-Doré, sa prétendue femme et Mario, le marmiton improvisé, pour qu’ils eussent à satisfaire la lieutenante au plus vite.

Voilà pourquoi il ne fallut plus songer à échanger des observations, ni à regarder la porte. Il fallait cuisiner, et l’on cuisinait à tour de bras.

Ce fut une des aventures de la vie du marquis où il se montra à la hauteur des événements.

Il fit des ragoûts dignes d’un meilleur sort, saupoudra et dressa les mets, graissa la poêle et fit sauter l’omelette avec des allures d’une maestria qui finit par imposer le respect à ces mécréants, en dépit de leur impatience.

Au moment de servir la soupe, le marquis vit Jacques Bréchaud allonger le bras comme pour saler sur nouveaux frais. Il repoussa machinalement cet inutile concours ; mais l’insistance du brèche-dents l’étonna, et, lui saisissant la main, il trouva à son sel un aspect singulier.

— Laissez donc faire, dit Jacques, ils aiment ça, la soupe salée !

Et il avait un sourire étrange qui frappa tout à fait le marquis.

— Jacques ! lui dit-il tout bas, pas de poison : c’est lâche, et la lâcheté porte malheur ! Dieu seul peut nous sauver. Ne fâchons pas Dieu !