Page:Sand - Les Beaux Messieurs de Bois-Dore vol2.djvu/148

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Jacques laissa tomber la mort-aux-rats dont il s’était promis d’assaisonner la soupe des aimables hôtes du Geault-Rouge. L’élan généreux et romanesque du marquis lui parut inexplicable ; mais il en subit l’ascendant avec une sorte de terreur superstitieuse.

Bois-Doré venait de remettre le potage et tout le premier service aux pages barbus de madame Proserpine ; il respirait un peu ; on semblait disposé à lui laisser un peu plus de liberté.

Mario même allait de temps en temps jusqu’au seuil, et il eût pu fuir en cet instant, en ayant l’air d’aller chercher du bois sous le hangar ; mais il se garda bien de dire le fait à son père. Celui-ci eût exigé qu’il en profitât, et, pour rien au monde, l’enfant n’eût voulu se séparer de lui.

— Si l’on doit tuer mon père, pensait-il, je veux mourir avec lui ; mais, jusqu’à la fin, je garderai l’espoir de le sauver.

Madame Pignoux commençait aussi à espérer. Les hommes de la lieutenante paraissaient encore plus effrontés, mais un peu moins sinistres que ceux qui les avaient précédés dans la cuisine.

Ils étaient presque tous Français et jeunes. Ils commandaient avec autant de cynisme que les autres ; mais il y avait dans leurs manières une sorte de gaieté qui pouvait faire croire à un fonds de bonhomie, ou, tout au moins, à un moment d’oubli.

Mais un ordre venu du haut de l’escalier tomba comme la foudre sur les captifs : madame Proserpine mandait maître Pignoux et sa femme en sa présence.

— J’irai, j’y vais, j’y cours ! s’écria l’hôtesse en montant l’escalier.