Page:Sand - Les Beaux Messieurs de Bois-Dore vol2.djvu/308

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mains, vous aviez donc gardé un peu d’amitié pour moi ?

— De l’amitié et de l’estime, répondit-elle ; je savais que vous n’aviez pas voulu combattre les protestants.

— Ah ! jamais ! et pourtant, je n’en ai jamais dit la principale raison ! Je peux vous la dire, à vous, maintenant : je ne voulais pas risquer de tirer sur votre père et sur vos amis, Lauriane, je vous ai tendrement aimée ; d’où vient donc que vos lettres à mon père étaient si froides pour moi ?

— Je peux, moi aussi, vous parler maintenant à cœur ouvert, mon cher Mario. Mon père, lorsque nous nous vîmes pour la dernière fois à Bourges, il y a quatre ans, avait eu l’étrange idée de nous fiancer ensemble. Le vôtre repoussa, comme il le devait, le projet d’un mariage si mal assorti ; et moi, un peu humiliée de la légèreté de mon pauvre père, je vous annonçai à diverses reprises des projets d’établissement auxquels je ne pouvais guère songer dans les tristes circonstances où je me trouvais. En même temps, j’étais froide pour vous en paroles, mon cher Mario, et peut-être un peu humiliée des prétentions que vous pouviez me supposer.

» Aujourd’hui, sourions de ces misères passées et rendez-moi la justice de croire que je ne songe à aucune espèce de mariage. J’ai vingt-trois ans : le temps est passé pour moi. Mon parti est écrasé, et ma fortune sera confisquée au premier caprice du prince de Condé. Mon pauvre père est mort, dépouillé, par les hasards de la guerre, des biens qu’il avait amassés dans ses excursions maritimes.

» Je ne suis donc plus ni riche, ni belle, ni jeune. Je m’en réjouis sous un rapport : c’est que je pourrai