Page:Sand - Les Beaux Messieurs de Bois-Dore vol2.djvu/311

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ne le saurai jamais. Je vois bien que vous êtes changée. Vous voilà plus pâle et plus mince que lorsque vous aviez seize ans ; mais, à mes yeux, vous êtes bien plus belle ainsi, et, ne l’eussiez-vous jamais été, il ne me semble pas que je vous eusse moins aimée.

» Donc, si le bonheur d’une femme est d’être belle pour celui qu’elle aime, aimez-moi, Lauriane, et vous aurez ce bonheur-là. Enfin, écoute, ma Lauriane, et laisse-moi te parler comme autrefois. J’ai eu bien de la soumission et du courage jusqu’à ce jour, ne m’ôte pas ma force ; si tu veux attendre encore à me connaître comme ami et frère, j’attendrai que tu te fies en moi. Si tu veux que je retourne à la guerre, et, de vrai, c’est mon envie, viens au camp comme pupille et fille adoptive de mon père. Je ne te verrai que quand tu voudras, pas du tout, si tu l’exiges, jusqu’à ce que tu m’acceptes pour mari. Enfin, ne nous quitte plus ; car, avec ou sans ton amour, nous sommes et voulons être toujours ta famille, tes amis, tes défenseurs, tes esclaves, tout ce que tu voudras que nous soyons, pourvu que tu nous permettes de t’aimer et de te servir. »

Lauriane pressa dans ses mains les mains du bon Mario.

— Tu es un ange, lui dit-elle, et il me faut du courage pour te refuser. Mais je t’aime trop pour lier ta brillante destinée à ma destinée finie et douloureuse ; j’aime trop ton père pour lui vouloir causer ce chagrin…

— Mon père ! tu doutes de mon père, à présent ? s’écria Mario hors de lui. Ah ! Lauriane ! n’as-tu pas compris que le tien t’avait trompée ! Dis donc que tu ne m’aimes pas, que tu ne m’as jamais aimé !…

En ce moment, on sonna avec force à la grille du couvent, et, une minute après, le marquis de Bois-Doré