Page:Sand - Les Beaux Messieurs de Bois-Dore vol2.djvu/315

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défie les plus gourmands de vengeance de n’en pas être rassasiés.

— Je le crois ! dit Mario en soupirant ; mais écoutez donc ces cris, monsieur l’abbé : il y a par là des gens en grande détresse. Allons-y voir.

Effectivement, on entendait, derrière la colline d’où montait la fumée, des cris, ou plutôt un seul cri prolongé, perçant, atroce, comme celui de la mouche que suce lentement l’araignée. L’horrible durée de ce cri lointain, qui semblait être celui d’un enfant, fit impression sur l’abbé. Clindor ne pouvait croire que ce fût une voix humaine.

— Non, non, disait-il, c’est quelque pipeau de berger ou quelque chevreau qu’on égorge.

— C’est un être humain qui expire dans les tortures, reprit l’abbé. Je connais trop cette affreuse musique !

— Courons-y donc ! s’écria Mario ; il est peut-être temps de sauver une malheureuse créature. Venez, venez, l’abbé ! La paix est signée ; nul n’a plus le droit de torture sur les huguenots !

— Il est trop tard, dit l’abbé, on n’entend plus rien.

Le cri avait cessé brusquement et la fumée tombait. On s’était peut-être trompé.

On poussa néanmoins les chevaux, qui gagnèrent bientôt le haut de la colline.

Alors on aperçut, au fond du vallon, et beaucoup plus loin qu’on ne s’y attendait, un groupe de paysans qui tournaient et s’agitaient autour d’un feu à demi éteint. Avant qu’on fût à portée de la voix, ils s’étaient dispersés. Une seule vieille femme resta auprès des cendres brûlantes, qu’elle retournait avec une fourche, comme si elle y eût cherché quelque chose. Mario arriva le