Page:Sand - Les Beaux Messieurs de Bois-Dore vol2.djvu/60

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coupée à la malcontent, et à la fraise espagnole que l’encadrait, à ses lignes arrêtées et d’une délicatesse anguleuse, enfin à la forme particulière de la barbe et de la moustache, c’était celle de d’Alvimar, penchée en arrière dans la roideur de la mort.

D’abord, Bois-Doré se défendit de cette idée ; puis elle devint une obsession, une certitude, une émotion, une terreur insurmontable.

Il n’avait jamais cru aux revenants par rapport à lui. Il disait et pensait que, n’ayant jamais mis personne à mort par vengeance ou cruauté, il était bien sûr de n’être jamais visité par aucune âme en peine ou en colère ; mais, pas plus que la majorité des hommes raisonnables de son temps, il ne niait le retour des esprits sur la terre et les apparitions dont tant de personnes dignes de foi racontaient les particularités.

— Ce d’Alvimar est bien mort, pensa-t-il : j’ai touché ses membres froids ; j’ai vu descendre de cheval son corps déjà roidi. Il repose depuis des semaines dans la terre, et pourtant je le vois ici, moi qui n’ai jamais rien vu de surnaturel là où les autres voyaient des fantômes épouvantables. Cet homme était-il, contre toutes les apparences, innocent du crime dont je l’ai accusé et puni ? Est-ce un reproche de ma conscience ? Est-ce une fantaisie de mon cerveau ? Est-ce le froid de cette masure qui me gagne et me trouble ? Quelque chose que ce soit, pensa-t-il encore, j’en ai assez.

Et, sentant le vertige précurseur d’un évanouissement, il se traîna sur l’escalier. Là, il se remit un peu et assura son pas pour descendre la spirale brisée.

Mais, quand il fut au bas, au lieu de se raffermir l’esprit et de chercher à pénétrer dans les salles du rez-de-chaussée, il ne voulut plus rien voir ni rien écouter,