Page:Sand - Les Beaux Messieurs de Bois-Dore vol2.djvu/99

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à la hâte un baiser muet ; c’était peut-être un éternel adieu.

Aristandre, profondément attendri, n’en retira pas moins brusquement sa grosse patte, comme pour dire : « Allons, ne songez qu’à vous, » et, faisant vivement le signe de la croix dans les ténèbres, il monta résolûment l’escalier court et roide de la galerie de manœuvre.

— Qui va là ? cria une voix sourde que Mario reconnut aussitôt pour celle de Sanche.

Et, comme le carrosseux montait toujours et atteignait le côté gauche de la galerie, la voix ajouta :

— Répondras-tu, balourd ? Es-tu ivre ? Réponds, ou je fais feu sur toi !

Moins d’une minute après, le coup partit ; mais le pieu était levé, Mario lâchait la chaîne, s’élançait sur le pont, et fuyait sans regarder derrière lui.

Il lui sembla qu’on criait l’alerte sur le moucharabi et qu’une balle sifflait à ses oreilles ; il n’entendit pas l’explosion, tant il avait le sang à la tête.

Quand il fut hors de portée, il s’arrêta contre un arbre, se sentant défaillir à la pensée de ce qui se passait entre le pauvre Aristandre et les guetteurs ennemis.

Il entendit de grandes clameurs dans la tour et comme des coups de pic contre la pierre. C’était la pioche d’Aristandre qui faisait le moulinet dans l’obscurité ; mais il gardait prudemment le silence afin d’être pris pour un bohémien ivre, et Mario, en cherchant à saisir un éclat de sa voix, au milieu de celles des autres, perdait l’espérance, et, avec l’espérance, le courage de fuir sans lui.

Le pauvre enfant songeait si peu à lui-même, qu’il ne tressaillit même pas en se sentant serrer le bras.