Page:Sand - Les Deux Freres.djvu/114

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marande, la comtesse appuya pour la première fois son bras sur le sien.

Nous revînmes, la comtesse et moi, par un sentier très-direct, que je ne connaissais pas, et qui était d’autant plus difficile que la nuit était très-sombre. J’ai toujours redouté les ténèbres. Il semblait qu’elles n’existassent pas pour elle, car elle marchait d’un pas rapide et résolu, sans broncher, légère comme un oiseau, disant qu’elle avait eu avec Gaston des rendez-vous par tous les temps et dans des endroits impossibles, et qu’à cause de cela elle s’était exercée à marcher et à passer partout dans les falaises de Ménouville.

— Comme elle est jeune encore ! pensai-je, et comme cette maternité mystérieuse l’a conservée enthousiaste et romanesque !

En ce moment, elle était particulièrement exaltée.

— Quelle bonne nuit fraîche ! me disait-elle, et quel beau silence ! Comme je comprends l’amour de Salcède et de Gaston pour ces montagnes ! Ils ne voudront jamais les quitter définitivement, je le crains, ni se séparer l’un de l’autre ; c’est tout simple. Ils ont les mêmes goûts, les mêmes idées : la solitude ! Ce n’est pas là l’idéal de Roger ; c’est tout le contraire, et ma vie est liée à la sienne. C’est lui qui a le plus besoin de moi. Gaston est si sage et va être si heureux ! Roger, majeur dans quelques mois, aura mille tentations et vivra au milieu des périls. Je n’aurai pas sur lui l’autorité