Page:Sand - Les Deux Freres.djvu/141

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Vous les avez rêvées, répondis-je, vous étiez trop jeune…

— À Sévines, oui, reprit-il avec fermeté, mais plus tard… J’ai grandi en voyant pleurer ma mère et en entendant parler mes bonnes. On croit que les enfants n’entendent pas ou ne comprennent pas. La légende était trop mystérieuse pour ne pas me tourmenter l’esprit. Et puis il y avait un cheval merveilleux, un cheval Zamore qui avait enlevé… enfin un cheval des contes de fée. Tu fais une drôle de tête, vieux Charles ! on dirait que tu te souviens aussi.

J’étais démoralisé. Espérance voulut sortir.

— Reste donc, lui dit Roger.

— Non, non, répondit Gaston ; vous avez soupé, je vais vous chercher le café.

— Reviens tout de suite.

— À l’instant.

Il sortit, faisant certainement un effort pour cacher son émotion et réprimer sa propre curiosité.

— Vous faites la plus grave des folies, dis-je à Roger. Vous mettez dans l’esprit de ce garçon des chimères qui vous feront de lui un adversaire, un ennemi, le jour où vous aurez reconnu vous-même le néant de vos suppositions.

— Mes suppositions ! répondit-il avec feu. Veux-tu me jurer sur l’honneur, à l’instant même, sans hésiter, qu’Espérance n’est pas Gaston de Flamarande ?