Page:Sand - Les Deux Freres.djvu/235

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religion et doit avoir sa moralité comme tous les sentiments humains. Ceux qui n’en ont pas sont des instincts, et M. Ferras, à qui je reprochais dernièrement de ne m’avoir jamais beaucoup estimé, m’a fait comprendre qu’en ne me flattant jamais, il m’avait mieux aimé que toi. C’est un digne homme, ce Ferras ! je ne l’avais jamais compris, mais à présent mes yeux se sont ouverts sur bien des choses. La leçon a été rude aujourd’hui, mais elle me profitera, et je crois, j’espère que je saurai devenir un homme… comme Gaston, qui a reçu les leçons du malheur, et qui se trouve heureux parce qu’il est fort et voit juste… Je n’en puis plus ! Quelle heure est-il ?

— Cinq heures maintenant.

— Eh bien, dans une heure ou deux, ma mère s’éveillera, elle descendra ici probablement. Avertis-moi, il faut que je dorme une heure ou que je crève.

Il alla se jeter tout habillé sur le lit de Gaston, dont j’avais laissé le premier matelas relevé et roulé sur le devant de la couchette. Je voulais l’arranger.

— Laisse-le, dit-il, ça me tiendra chaud : il y a bien assez de place au fond du lit.

Et, enjambant le matelas roulé, il se laissa tomber derrière en jetant le couvre pied sur sa tête.

J’étais brisé aussi, brisé jusqu’au fond de l’âme.