Page:Sand - Les Deux Freres.djvu/56

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aimes mieux faire souffrir celle que tu aimes que d’imposer ton fils à la société et à Roger.

Ambroise, qui ne soupçonnait pas les motifs attribués par moi au marquis, continuait à ne pas comprendre. Il demanda la parole.

— Monsieur Alphonse, dit-il, vous direz ce que vous voudrez. Je sais bien que vous comptez servir de père à Espérance, et que vous serez pour lui un meilleur père que… pardon ! je ne veux rien dire de l’autre… Tenez, je vous aime bien, je me jetterais au feu pour vous, mais j’aime aussi le gars Espérance ; faites excuse, madame la comtesse, c’est mon enfant aussi, à moi ! C’est moi, le vieux Ambroise, qui lui ai appris à être fin chasseur, fort nageur et bon connaisseur en chevaux et en toutes choses de la campagne. C’est moi qui le premier l’ai fait parler quand il ne voulait parler à personne ; c’est moi qui l’ai porté sur mon dos pour lui faire connaître les hauts quand il avait les jambes trop menues. J’en ai fait le plus joli montagnard qu’il y ait à vingt lieues d’ici, et, pendant que M. Alphonse lui donnait de l’esprit, moi, je lui faisais un beau et bon corps. Les enfants… moi, je suis comme M. Charles, je n’en ai jamais eu et j’en suis fou. Et je ne suis pas comme M. Alphonse, qui dit qu’on est assez heureux quand on a bonne conscience et belle clarté d’esprit. Dame, excusez-moi, je suis un pauvre, j’ai été élevé à la peine et j’ai travaillé pour avoir quel-