Page:Sand - Les Don Juan de village.pdf/26

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peur, voyons ? Tu n’en sais rien. Les autres jeunesses vont jaser le soir bien gaiement avec leurs amoureux, ou bien elles les laissent venir la nuit auprès de leur fenêtre, comme me voilà en plein jour et en danger d’être vu. Tu vois bien que ta crainte te rend imprudente. Il y en a d’aussi bien gardées que toi, et celles-là, c’est les plus fines pour donner des rendez-vous. C’est pourtant pas l’esprit qui te manque, à preuve ce ruban qui n’est point sot. Ce qui te manque, c’est l’amitié, Gervaise ! Quand je t’embrasse, c’est malgré toi, et, comme je ne veux pas te contraindre, je suis toujours en doutance de ton cœur. Ah ! si tu m’aimais !…

GERVAISE.

Écoutez, Jean ! si je n’ai point de confiance en vous, c’est votre faute. Vous avez un grand bon cœur, je le sais, puisque vous avez tant d’amis ; mais… Oh ! je ne veux point vous ennuyer par des remontrances. Vous êtes riche, vous mangez votre bien, à ce qu’on dit ; ça ne me fait pas de peine, à moi qui suis pauvre. Si je vous parlais d’économie, vous pourriez croire que je me soucie de votre fortune. Vous vous plaisez à rire, à courir, à faire du bruit, je n’y vois pas grand mal ; mais on dit aussi que vous trompez les femmes et que vous les abandonnez…

JEAN.

Ça, c’est des mensonges ! J’ai jamais laissé dans la peine les femmes qui m’ont aimé !

GERVAISE.

Mais vous avez fini le premier de les aimer, vous ?

JEAN.

C’est peut-être qu’elles m’avaient aimé les premières sans être bien sûres d’être aimées. Est-ce ma faute s’il y en a plus d’une qui a couru après moi ?

GERVAISE.

N’est-ce pas ce que vous direz de moi aussi ? Il paraît que vous changez tous les jours de caprice. Je veux bien croire qu’il y a de la faute de celles qui vous font des avances ; mais…