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Les Maîtres Sonneurs

passer dans ceux de Cheurre. C’est par aventure que je me suis trouvé en rencontrer dans la forêt de Saint-Chartier, où ils faisaient halte, pour gagner Saint-Août, et du nombre était celui-ci, qui s’appelle Huriel, et qui est demandé, à présent, aux forges d’Ardentes, pour porter du charbon et du minerai. Il a bien voulu se détemcer d’une couple d’heures pour m’obliger. Il s’en suit qu’ayant quitté ses compagnons et les pays de brandes, qui se trouvent sur le chemin fréquenté de ceux de son état, et où les mules peuvent pâturer sans nuire à personne, il a peut-être cru pouvoir se donner même licence dans nos pays de grain ; et encore qu’il ait grand tort, il serait mal commode de lui faire entendre qu’il n’y a pas droit.

— Et si, faudra-t-il bien qu’il l’entende de moi, répondis-je, car je sais maintenant de quoi il retourne. Oh ! oh ! des muletiers ! on sait ce que c’est, et tu me donnes souvenance de ce que j’en ai ouï raconter à mon parrain Gervais, le forestier. Ce sont gens sauvages, méchants et mal appris, qui vous tuent un homme dans un bois, avec aussi peu de conscience qu’un lapin ; qui se prétendent le droit de ne nourrir leurs bêtes qu’aux dépens du paysan, et qui, si on le trouve malséant, et qu’ils ne soient pas les plus forts pour résister, reviennent plus tard ou envoient leurs compagnons faire périr vos bœufs par maléfice, brûler vos bâtiments, ou pis encore ; car ils se soutiennent comme larrons en foire.

— Puisque tu as ouï parler de ces choses, dit Joseph, tu vois que nous aurions tort, pour un petit dommage, d’en attirer un plus grand aux métayers, mes maîtres, et à ta famille. Je suis loin de trouver bon ce qui s’est passé, et quand maître Huriel m’a dit qu’il allait faire pâturer par ici et faire sa couchée à la belle étoile, comme ils font en tout temps et en tout lieu, je lui avais enseigné cette chaume, et recommandé de ne pas laisser promener ses mulets dans les terres ensemencées. Il me l’avait promis, car il n’est pas méchant ; mais il a