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Sixième veillée

— Ah ! vous connaissez la manière ? dit-il d’un air de défiance ; mais les chiens ?

— On ne craint pas les chiens quand on a un bon fusil dans la main.

— Auriez-vous tué mes chiens ? fit-il encore en se levant tout à fait. Et sa figure flamba de colère, d’où je vis que s’il était d’humeur joviale, il pouvait aussi être terrible à son moment.

— J’aurais pu tuer vos chiens, répondis-je ; j’aurais pu emmener vos bêtes en fourrière dans une métairie où vous auriez trouvé une dizaine de bon gars pour parlementer. Je ne l’ai pas fait, parce que Joseph m’a remontré que vous étiez seul, et que, pour un dommage, c’était lâche de mettre un homme seul dans le cas de se faire tuer. J’ai écouté cette raison-là ; mais nous voilà un contre un. Vos bêtes ont gâté mon champ et celui de ma sœur ; de plus, vous venez d’entrer chez moi en mon absence, ce qui est malhonnête et insolent. Vous allez me faire excuse de votre comportement, me proposer indemnité pour le dommage de mon grain, ou bien…

— Ou bien quoi ? dit-il en ricanant.

— Ou bien nous allons plaider selon les droits et coutumes du Berry, qui sont, je pense, les mêmes que ceux du Bourbonnais, quand on prend les poings pour avocats.

— C’est-à-dire au droit du plus fort ? fit-il en retroussant ses manches. Ça me va mieux que d’aller devant les procureurs, et si vous êtes seul, si vous n’agissez pas en traître…

— Venez dehors, lui dis-je, vous verrez que je suis seul. Vous avez tort de me faire injure ; car, en entrant ici, je vous tenais au bout de mon fusil. Mais les armes sont faites pour tuer les loups et les chiens enragés. Je n’ai pas voulu vous traiter comme une bête, et, bien qu’à présent vous soyez en mesure de me fusiller aussi, je trouve qu’entre hommes c’est lâche de