Page:Sand - Les Maitres sonneurs.djvu/217

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— C’est donc une noce ? dit le plus grand de tous, que je reconnus alors à son poil rouge, pour le chef de ceux dont nous avions fait si mauvaise rencontre au bois de la Roche.

— Noce ou non, lui dis-je, c’est moi qui régale, et c’est de bon cœur envers qui me plaît ; mais…

Il ne me laissa pas achever et répondit : — Nous n’avons pas droit ici, et vous y êtes maître ; merci pour vos bonnes intentions, mais vous ne nous connaissez point, et devez garder votre vin pour vos amis.

Il dit quelques mots aux autres dans son patois et les emmena à l’écart, où ils s’assirent par terre et firent leur souper très-sagement, tandis que le grand bûcheux alla leur parler, et marqua beaucoup d’égards à leur chef, le grand rouge, qui s’appelait, Archignat, et passait pour un homme juste autant que peut l’être un muletier.

Comme, au reste, ces gens étaient aussi considérés que d’autres par ceux de la forêt, nous nous gardâmes, Brulette et moi, de dire à personne qu’ils nous répugnaient, et elle retourna à la danse sans plus de crainte ; car, sauf le chef, nous n’avions reconnu parmi eux aucun de ceux qui avaient manqué de nous faire un si mauvais parti durant notre voyage ; et, en fin de compte, ce chef nous avait sauvés du méchant vouloir de ses compagnons.

Plusieurs de ceux qui étaient là savaient cornemuser, non pas comme le grand bûcheux, qui n’avait pas son pareil dans le monde, et qui eut fait sauter les pierres et batifoler les chênes de la forêt, s’il l’eût souhaité, mais beaucoup mieux que Carnat et son garçon ; si bien que la musette changea de mains, et arriva en celles du muletier-chef que je vous ai nommé Archignat, tandis que le grand bûcheux, qui avait le cœur et le corps encore jeunes, prit le plaisir de faire danser sa fille, dont, à bon droit, il était aussi fier que, chez nous, le père Brulet de la sienne.