Page:Sand - Les Maitres sonneurs.djvu/237

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je l’eusse rencontré seul à seul dans la brume du matin. Il était plus barbouillé de noir que je ne l’avais encore vu, et un mouchoir, serré sur sa tête, cachait si bien ses cheveux et son front, qu’on ne voyait guère de sa figure que ses grands yeux, qui paraissaient creusés et qui avaient perdu leur feu ordinaire. Il avait l’air d’être son propre esprit plutôt que son propre corps, tant il glissait doucement sur les bruyères, comme s’il eût craint d’éveiller même les grelets et les moucherons cachés dans l’herbe.

Le moine prit le premier la parole, non pas comme un homme qui en accoste un autre, mais comme celui qui reprend un entretien après un peu de dérangement : — Puisque le voilà, dit-il en me montrant, il est utile de lui faire des recommandations sérieuses, et j’étais en train de lui dire.

— Puisque vous lui avez tout dit… reprit Huriel en lui coupant la parole d’un air de reproche.

À mon tour, je coupai la parole à Huriel pour lui apprendre que je ne savais encore rien, et qu’il était libre de me cacher ce qu’il avait sur le bout de la langue.

— C’est bien à toi, répondit Huriel, de ne pas chercher à en savoir plus long qu’il ne faut ; mais si c’est ainsi, frère Nicolas, que vous gardez un secret de cette conséquence, je regrette de m’être fié à vous.

— Ne craignez rien, dit le carme. Je croyais ce jeune homme aussi compromis que vous !

— Il ne l’est pas du tout, dit Huriel, Dieu merci ! C’est assez de moi !

— Tant mieux pour lui s’il n’a péché que par intention, reprit le moine. Il est votre ami, et vous n’avez rien à en craindre ; mais quant à moi, je serais bien aise qu’il ne dît à personne que j’ai passé la nuit dans ces bois.

— Qu’est-ce que ça peut vous faire ? dit Huriel ; un