Page:Sand - Les Maitres sonneurs.djvu/444

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restera toujours, à moins que l’oreille n’y soit plus. » Eh bien, l’oreille, quoique fendue dans la bataille, y est encore, et l’anneau, quoique brisé, le voilà, avec le gage un peu bosselé. L’oreille guérira, l’anneau sera ressoudé, et tout reprendra sa place, par la grâce de Dieu.

La Mariton disait au grand bûcheux :

— Eh bien, qu’est-ce qui va résulter de cette bataille, à présent ? Ils sont capables de m’assassiner mon pauvre enfant, s’il essaye de cornemuser dans le pays ?

— Non, répondait le grand bûcheux ; tout s’est passé pour le mieux, car ils ont reçu une bonne leçon, et il s’y est trouvé assez de témoins étrangers à la confrérie pour qu’ils n’osent plus rien tenter contre Joseph et contre nous. Ils sont capables de faire le mal quand cela se passe entre eux, et qu’ils ont, par force ou par amitié, arraché à un aspirant le serment de se taire. Joseph n’a rien juré ; il se taira parce qu’il est généreux, Tiennet aussi, de même que mes jeunes bûcheux par mon conseil et mon commandement. Mais vos sonneurs savent bien que s’ils touchaient, à présent, à un cheveu de nos têtes, les langues seraient déliées et l’affaire irait en justice.

Et le carme disait à Benoît :

— Je ne saurais point rire avec vous de l’aventure, depuis que j’y ai eu un accès de colère dont il me faudra faire confession et pénitence. Je leur pardonne bien les coups qu’ils ont essayé de me porter, mais non ceux qu’ils m’ont forcé de leur appliquer. Ah ! le père prieur de mon couvent a bien raison de me tancer quelquefois, et de me dire qu’il faut combattre en moi non-seulement le vieil homme, mais encore le vieux paysan, c’est-à-dire celui qui aime le vin et la bataille. Le vin, continua le carme en soupirant et en remplissant son verre jusqu’aux bords, j’en suis corrigé, Dieu merci ! mais je me suis aperçu cette nuit que j’avais encore le sang querelleur et qu’une tape me rendait furieux.