mon dépit et je m’y refusai, disant que le temps n’engageait guère à s’arrêter dans les fossés. De vrai, il faisait, sinon froid, du moins très-humide ; le dégel rendait les eaux troubles et les herbes fangeuses. Il y avait encore de la neige dans les sillons, et le vent était désagréable. Il fallait, à mon sens, que Brulette trouvât Joseph bien intéressant pour mener ses ouailles dehors ce jour-là, elle qui les faisait si souvent et si volontiers garder par sa voisine.
— Joset, dit Brulette, voilà notre ami Tiennet qui boude, parce qu’il voit que nous avons un secret tous les deux. Ne veux-tu point que je lui en fasse part ? Son conseil n’y gâterait rien, et il te dirait ce qu’il pense de ton idée.
— Lui ! dit Joseph, qui recommença à lever les épaules comme il avait fait la veille.
— Est-ce que le dos te démange quand tu me vois ? lui dis-je un peu émalicé. Je le pourrais bien gratter d’une manière qui t’en guérirait une bonne fois.
Il me regarda en dessous, comme prêt à mordre ; mais Brulette lui toucha doucement l’épaule du bout de sa quenouille, et, l’appelant ainsi à elle, lui parla dans l’oreille :
— Non, non, répondit-il, sans prendre la peine de me cacher sa réponse. Tiennet n’est bon à rien pour me conseiller ; il n’y connaît pas plus que ta chèvre ; et si tu lui dis la moindre chose, je ne te dirai plus rien.
Là-dessus, il ramassa sa tranche et sa serpe et s’en alla travailler plus loin.
— Allons, dit Brulette en se levant pour rassembler ses ouailles, le voilà encore mécontent ; mais va, Tiennet, ça n’est rien de sérieux, je connais sa fantaisie, il n’y a rien à y faire, et le mieux, c’est de ne pas le tourmenter. C’est un garçon qui a une petite folleté dans la tête depuis qu’il est au monde. Il ne sait ni ne peut s’en expliquer, et le mieux est de le laisser tranquille ; car