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les sept cordes de la lyre

hanz. Hélène, ne saurais-tu nous dire à quoi tu pensais tout à l’heure en jouant de la lyre ?

hélène. Je le sais, mais je ne pourrais vous l’expliquer.

carl. Mais ne saurais-tu donner à cette improvisation un nom qui nous en révèle le sens ?

hélène. Appelez-la, si vous voulez, les cœurs résignés.

albertus. Et celle d’hier ?

hélène, effrayée. Hier ! hier !… c’était… les cœurs heureux ; mais je n’ai pu la retrouver aujourd’hui, je ne m’en souviens plus.




Scène II — ALBERTUS, seul.


Il n’y a plus à en douter, cette lyre est enchantée. Elle commande aux éléments ; elle commande aussi à la pensée humaine ; car mon âme est brisée de tristesse, et, sans comprendre le sens mystérieux de son chant, je viens d’en subir l’émotion douloureuse et profonde… Enchantée !… Est-ce donc moi dont la bouche prononce et dont l’esprit accepte un pareil mot ? Il me semble que mon être s’anéantit. Oui, ma force intellectuelle est sur son déclin ; et, au lieu de lutter par la raison contre une évidence peut-être menteuse, je l’accepte sans examen, comme un fait accompli… Peut-être le meunier du moulin, que j’aperçois là-bas parmi les peupliers, pourrait m’expliquer fort naturellement le prodige des eaux suspendues dans leur cours. Il n’a fallu qu’une coïncidence fortuite entre le moment où Hélène, dans sa folie, commandait au ruisseau de s’arrêter, et celui où le garçon du