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les sept cordes de la lyre

étreinte de celui qui accompagne l’autre jusqu’au pied de l’échafaud ? Comprends-tu le dernier regard de celui qui place en souriant sa tête sous la hache ?

Hélène. Je vois des vierges qu’on profane et des enfants qu’on égorge ; je vois des vieillards que l’on suspend au gibet ; je vois une femme que des courtisans traînent dans le lit d’un prince, et qui expire de honte et de désespoir dans ses bras ; je vois l’époux de cette femme qui reçoit de l’or et des honneurs pour garder le silence, et qui baise la main du prince ; je vois une jeune fille que des soldats frappent à coups de verges sur la place publique pour avoir chanté : Non, la patrie n’est pas perdue ! et qui devient folle ; je vois des enfants qu’on sépare de leur mère, qu’on isole de leur famille, et à qui l’on veut apprendre à maudire le nom de leur père et à renier l’héroïsme de leur sang ! Je vois des héros qu’on proscrit, des libérateurs dont la tête est mise à prix ; je vois de jeunes martyrs qu’on traîne hors de la prison, parce qu’ils n’expirent pas assez vite, et qu’on mène sous les glaces du pôle, de peur que leurs derniers soupirs ne percent les murs du cachot et n’arrivent à l’oreille de leurs frères ; je vois des paysans dont on déchire la chair avec des hameçons de fer, parce qu’ils ont oublié de couper leur barbe et d’endosser la livrée du vainqueur ; je vois une nation qu’on veut rayer de la face du globe, comme si elle n’avait jamais existé. On lui ôte ses chefs, ses libérateurs, ses prêtres, ses institutions, ses biens, son costume et jusqu’à son nom pour qu’elle périsse ; et l’univers regarde en disant : « Qu’elle périsse ! »

L’esprit de la lyre. Tu vois le mal qui se montre, tu ne vois pas le bien qui se cache. Ne peux-tu