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les sept cordes de la lyre

que depuis si longtemps mes lèvres sont closes et ma langue enchaînée comme la voix au sein de cet instrument ? Pourquoi n’ai-je encore jamais osé dire à Hélène que je l’aimais ?… Ah ! le juif m’a trompé : il m’a dit que ce talisman me donnerait l’éloquence de l’amour, et le talisman est sans vertu entre mes mains ! Dieu me punit d’avoir cru à la puissance des chimères en m’enlevant ma dernière illusion et en me replongeant dans l’horreur du désespoir ! Ô solitude ! je suis donc à jamais ta proie ! Ô désir ! vautour insatiable dont mon cœur est l’indestructible aliment !… (Il croise ses bras sur sa poitrine, et regarde Hélène avec douleur. La lyre tombe et rend un son puissant. Hélène tressaille et se lève.)

Hélène. C’est ta voix !… Où donc es-tu ? (Elle cherche autour d’elle avec inquiétude, et, après quelques efforts pour retrouver la mémoire, elle aperçoit la lyre et la saisit avec transport. La lyre résonne aussitôt avec force.)

albertus. Quels sons graves et terribles !… Je ne croyais plus à la puissance du talisman. Pourtant cette voix me remplit de trouble et d’épouvante !

L’esprit de la lyre. L’heure est venue, ô fille des hommes ! C’est maintenant que tous mes liens avec le ciel sont brisés ; c’est maintenant que j’appartiens à la terre ; c’est maintenant que je suis à toi. Aime-moi, ô fille de la lyre ; ouvre-moi ton cœur, afin que je l’habite et que je cesse d’habiter la lyre !

L’esprit d’Hélène, pendant qu’Hélène touche la corde d’airain. Être inconnu qui me parles depuis longtemps et qui ne t’es jamais montré à moi, il me semble que je t’aime, car je ne puis rien aimer sur la terre. Mais mon amour est triste, et la crainte le glace ; je sens que ta nature est supérieure à la mienne, et j’ai peur d’être sacrilége en osant aimer un ange.