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lettres à marcie

admirable. Lorsqu’il voyait un nuage sur la figure de l’une d’elles : « Eh bien, qu’as-tu ? disait-il avec cette liberté de la plaisanterie italienne. Nipotina, ôtez-vous de la fenêtre ; car, si les jeunes gens qui passent dans la rue vous voient ainsi, ils vont croire que vous soupirez après un mari ; » et aussitôt le sourire de l’innocence et d’un juste orgueil reparaissait sur le visage mélancolique. Vous pensez bien que cette famille vivait dans la plus austère retraite. Ces jeunes filles savaient trop bien qu’elles devaient éviter jusqu’au regard des hommes, vouées, comme elles étaient, au célibat. S’il y eut des inclinations secrètement écloses, secrètement aussi elles furent comprimées et vaincues. S’il y eut quelques regrets, il n’y eut entre elles aucune confidence, quoiqu’elles s’aimassent tendrement ; mais la fermeté et le respect de soi-même étaient si forts en elles, qu’il y avait une sorte d’émulation tacite à étouffer toute semence de faiblesse sans la mettre au jour. L’amour-propre, mais un amour-propre touchant et respectable, tenait en haleine la vertu de ces jeunes recluses. Et il faut croire que la vertu n’est pas un état violent dans les belles âmes, qu’elle y pousse naturellement et s’y épanouit dans un air pur ; car je n’ai jamais vu de visages moins hâves, de regards moins sombres, d’aspects moins farouches. Fraîches comme trois roses des Alpes, elles allaient et venaient sans cesse, occupées au ménage ou à l’aumône. Lorsqu’elles se rencontraient dans les escaliers de la maison ou dans les allées du jardin, elles s’adressaient toujours quelque joyeuse et naïve attaque, elles se serraient la main avec cordialité. Je demeurais dans le voisinage et j’entendais leurs voix fraîches gazouiller par tous