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lettres à marcie

qu’il ne put achever, et, me la jetant sur les genoux : « Tenez, me dit-il, j’y renonce, quoique je la sache par cœur. » J’ai pris copie de cette lettre avec sa permission, et la voici :

« Mon oncle, ne me blâmez pas de la faiblesse qui m’accable, j’ai tout fait pour lutter contre mon cœur. Il faut que cette passion qu’on appelle inclination (je traduis textuellement) soit bien plus difficile à gouverner que je ne croyais. Apparemment qu’il plaît au Seigneur de m’éprouver pour me ramener au sentiment de la crainte et de l’humilité. Hélas ! mon bon oncle, gardez-moi le secret. Rien au monde n’eût pu me déterminer à avouer à mes pauvres sœurs pourquoi j’étais malade ; mais vous êtes mon confesseur et mon père en Dieu ; je viens vous avouer avec honte que c’est le chagrin qui m’a vaincue. J’ai eu l’imprudence de recevoir plusieurs lettres de ce jeune homme, je vous les renvoie, mon oncle : brûlez-les, que je ne les revoie jamais ; elles ont troublé le zèle de mes jours et le repos de mes nuits. J’ai laissé le venin de la flatterie s’insinuer dans mon âme, et en un instant, chose étrange et déplorable ! l’estime de cet étranger m’est devenue plus précieuse que les bénédictions de ma famille. Tandis que les plus tendres caresses de mes sœurs, tandis que vos plus bienveillantes paroles me tiraient à peine d’une secrète mélancolie, les phrases insensées que milord m’écrivait, et que je dévorais avec mystère, me faisaient monter le feu au visage, et mon cœur bondissait comme s’il allait se briser. Ô mon cher oncle, quelle chose puissante que la louange, quelle chose faible et lâche que notre cœur quand nous en avons ouvert l’accès ! Le désordre de mon âme, arrivé si subite-