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lettres à marcie

n’existent pas pour vous, et vous n’avez pas conservé la foi naïve qui animait cette jeune fille : vos principes doivent vous suggérer des desseins moins romanesques, mais plus réfléchis. De toutes les résolutions, la plus héroïque est justement celle que vous avez à suivre. Il s’agit d’attendre, et c’est en effet ce que l’homme supporte le plus difficilement dans toutes les positions. Agir contre sa souffrance ne demande que de l’énergie ; la subir quand on ne peut agir contre elle, c’est le fait de la force. Il est aisé, dans un jour d’enthousiasme, de disposer de soi et de sacrifier un avenir qui se présente sous la forme d’un rêve. Mais gouverner ses passions et ses volontés, jour par jour, heure par heure, recommencer chaque matin un ouvrage menacé et troublé chaque jour, reprendre au réveil une chaîne pesante, s’endormir tous les soirs en rattachant les anneaux de cette chaîne sans cesse brisée, ne se haïr et ne s’enorgueillir jamais, prendre patience avec soi-même, tendre le dos aux coups de la tempête en ne désespérant jamais de toucher le port, c’est là une grande tâche, et ne croyez pas que vous pussiez la supporter si on vous ôtait le désir d’un état plus doux. Vous tomberiez dans une inertie dont la nature a horreur et contre laquelle elle proteste en retournant au néant. Si vous n’aviez pas cette espérance parfois amère et irritante, votre souffrance ne se sentirait pas ennoblie. Allez, la souffrance est bonne, la douleur est sainte quand on sait les accepter comme des épreuves venant d’en haut. Il est également coupable d’en provoquer et d’en éviter les atteintes. Le destin n’est impitoyable qu’à ceux qui entrent en révolte contre lui.

Et, après tout, soyez de bonne foi. Cet état de l’âme