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carl

Tout à coup, le jeune Carl s’éveilla : ses joues blêmes s’enflammèrent d’un éclat singulier, et les lignes pures mais inanimées de son visage reçurent un tel ébranlement, qu’un instant il me parut aussi beau que, jusqu’alors, je l’avais trouvé insignifiant. Frappé de cette métamorphose, je m’arrêtai brusquement pour lui demander s’il comprenait la musique, et s’il était un peu musicien, comme le sont presque tous les villageois de cette contrée.

Mais Carl reprit en un clin d’œil sa pâleur et son insensibilité habituelle ; il se frotta les yeux, bâilla, me demanda si je lui avais parlé, et j’eus la mortification de m’avouer qu’un instant d’exaltation musicale et sentimentale m’avait abusé sur l’émotion de Carl. Honteux de cette faiblesse d’esprit, je remis ma flûte dans l’étui, et j’engageai Carl à renouer son sac de voyage et à se remettre en route avec moi.

J’avais un peu d’humeur, et je lui fis observer que le soleil baissait, qu’il avait dormi bien longtemps, qu’il avait le sommeil bien lourd, le tout d’un ton assez aigre. Mais le pauvre diable était accoutumé à tant de rigueur, qu’il ne s’aperçut pas de mon impatience. Il me répondit avec une douceur angélique :

— Il y a longtemps que je vis dans la misère et dans l’inquiétude, que je ne connaissais presque plus le sommeil ; depuis ce matin, je suis bien, je suis heureux, et je dors pour tout le temps que j’ai veillé. Et puis, ajouta-t-il d’un air simple, j’ai passé bien des nuits sans me coucher pendant que vous étiez malade.

Vivement attendri de cette réponse, je gardai un instant le silence.

— Carl, lui dis-je ensuite, rappelez-vous une