Page:Sand - Les Sept Cordes de la lyre.djvu/256

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

propre mort, et si je ne venais pas de lui fermer réellement les yeux une seconde fois. J’essayai de me rendormir ; mais les mêmes images me poursuivirent. Plusieurs fois je m’éveillai, plusieurs fois je retombai dans une sorte de léthargie ; et la veille et le sommeil troublaient également ma raison : l’un et l’autre remplissaient de terreurs puériles ma tête affaiblie… Lorsque j’avais les yeux fermés, je croyais entendre la phrase musicale que Carl avait écrite le jour de sa mort et qu’il murmurait en expirant, la même que j’avais jouée sur ma flûte dans la matinée. Quand j’avais les yeux ouverts, il me semblait que l’orgue venait de la jouer, et que la vibration remplissait encore les nefs sonores. Les voûtes, baignées d’une lueur incertaine, flottaient et oscillaient sur ma tête ; chaque chapelle semblait me renvoyer un son. Demi-évanoui sur les marbres, fatigué de ces hallucinations, je me levai, je pris mon front dans mes mains, j’essayai de marcher. Mais quels termes pourraient rendre ce que j’éprouvai en entendant la nef se remplir en réalité des sons de l’orgue ? Ce n’était plus une illusion, une main pressait les touches, les flancs du vaste instrument gémissaient en chantant l’introduction et les premières mesures de l’hymne fatal.

Je me cachai la figure dans mon manteau et je me prosternai sur le pavé de l’église. Convaincu que j’allais voir sortir de terre une ronde infernale, et que, pour me punir de ma vie peu chrétienne, des spectres allaient me tourmenter, je récitai plusieurs formules d’exorcisme et restai dans cette posture si longtemps, que l’aube blanchissait les vitraux lorsque je me hasardai à regarder autour de moi. Tout était calma : le cri des moineaux voltigeant et becquetant