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les sept cordes de la lyre

ne vois pas que les sages d’aucune nation traitent les artistes et les poëtes en parias ; je ne vois pas que la misère ou l’obscurité soient leur partage dans la société. Une danseuse mène, dans ce siècle-ci, la vie de Cléopâtre, et le philosophe vit d’un pain amer et grossier, entre la misère et l’apostasie.

hanz. Oh ! oui, maître, je conviens de cela. Mais je pourrais vous répondre qu’au nom de la philosophie tel ambitieux occupe les premières charges de l’État, tandis que, martyr de son génie, tel artiste vit dans la misère, entre le désespoir et la vulgarité. Ce n’est pas sous ce point de vue que j’envisage le malheur du poëte. Le poëte ambitieux peut tout dans la société, aussi bien que le philosophe ambitieux, car l’un et l’autre peuvent abjurer ou trahir la vérité. Dans l’ordre de considérations où je m’élève ici, je ne parle pas des infortunes sociales ni des souffrances matérielles. Je regarde plus haut, et, ne m’occupant guère des individus, je considère l’ensemble du progrès que la poésie et les arts doivent accomplir. Ce progrès serait le plus certain, le plus rapide, le plus magnifique, sans l’obstination des hommes à réprimer toute entreprise hardie, à refroidir toute inspiration ardente chez les poëtes. Je dis les poëtes, cette dénomination comprend tous les vrais artistes. La génération présente tout entière s’acharne à les faire marcher à petits pas, parce que, vaine de son petit bon sens et infatuée de sa petite philosophie, elle veut qu’on ait égard à sa médiocrité, en ne lui montrant que des œuvres médiocres. Des gens qui ne comprennent que les petites actions et les petits sentiments ont créé le mot de vraisemblance pour tout ce qui répond à leur étroitesse d’intelligence et de cœur. Ils ont rangé dans l’impossible et dans