Jean-Jacques a beau faire, Julie ne redevient chère au lecteur qu’à l’heure de la mort, en écrivant à Saint-Preux qu’elle n’a pas cessé de l’aimer. C’est madame de Staël, la logique, la raisonneuse, l’utile, qui fait cette remarque. Madame de Staël remarque encore que la lettre qui défend le suicide est bien supérieure à la lettre qui le condamne. Hélas ! pourquoi écrire contre sa conscience, ô Jean-Jacques ? s’il est vrai, comme beaucoup le pensent, que vous vous êtes donné la mort, pourquoi nous l’avoir caché ? pourquoi tant de déraisonnements sublimés pour celer un désespoir qui vous déborde ? Martyr infortuné qui avez voulu être philosophe classique comme un autre, pourquoi n’avoir pas crié tout haut ? cela vous aurait soulagé, et nous boirions les gouttes de votre sang avec plus de ferveur ; nous vous prierions comme un Christ aux larmes saintes.
Est-ce beau, est-ce puéril, cette affectation d’utilité philanthropique ? Est-ce la liberté de la presse, ou l’exemple de Gœthe suivi par Byron, ou la raison du siècle qui nous en a délivrés ? Est-ce un crime de dire tout son chagrin, tout son ennui ? Est-ce vertu de le cacher ? Peut-être, se taire, oui : mais mentir ! mais avoir le courage d’écrire des volumes pour déguiser aux autres et à soi-même le fond de son âme !
Eh bien ! oui, c’était beau ! Ces hommes-là travaillaient à se guérir et à faire servir leur guérison aux autres malades. En tâchant de persuader, ils se persuadaient. Leur orgueil, blessé par les hommes, se relevait en déclarant aux hommes qu’ils avaient su se guérir tout seuls de leurs atteintes. Sauveurs ingénus de vos ingénus contemporains, vous n’avez pas aperçu le mal que vous semiez sous les fleurs saintes de votre parole ! vous n’avez pas songé à cette génération que rien n’abuse, qui examine et dissèque toutes les émotions, et qui, sous les rayons de votre gloire chrétienne, aperçoit vos fronts pâles sillonnés par l’orage ! Vous n’avez pas prévu que vos préceptes passeraient de mode, et que